Terre, une invitation au voyage

Stocker et transmettre ses souvenirs : mode d'emploi

Luc Lebrun
Stocker et transmettre ses souvenirs : mode d'emploi

À l’ère du disque dur et du cloud, les photos, vidéos et autres notes de voyage sont largement dématérialisées. C’est pratique mais pas vraiment sûr et encore moins durable. Alors, comment déjouer les pièges du numérique et prendre soin de vos données?

Comment s'assurer que vos héritiers en profiteront un jour ? Nous vous confions nos petits secrets pour dormir tranquille sur votre montagne de fichiers.

Il y a d'abord eu la démocratisation de l'avion et du train à grande vitesse, puis l'émergence aujourd'hui du tourisme spatial. En moins d'un siècle, les voyages ont radicalement changé. Pour une proportion chaque jour plus importante de la population mondiale, il est possible de se rendre plus loin, plus vite et plus longtemps. Mais la technologie ne s'est pas contentée de cela : elle a aussi transformé la conservation des souvenirs. D'un monde totalement matériel, où les moments les plus mémorables étaient consignés au stylo dans des carnets de notes, les images fixées sur des pellicules ou du papier et les enregistrements audio transposés sur les bandes magnétiques de cassettes, nous sommes entrés dans l'ère de la donnée.

N'en déplaise aux poètes, les écrits, les sons et les images se nomment désormais tous « fichiers », et sont constitués de 0 et de 1.

Résultat : en 2021, la décoration de la tanière d'un voyageur invétéré n'est plus forcément saturée de cadres photo ou de bibliothèques : il lui suffit d'un disque dur pour ranger méticuleusement (ou pas) tout ce dont il souhaite se souvenir. Certains franchissent un pas supplémentaire dans la dématérialisation en archivant leurs fichiers dans le cloud, c'est-à-dire sur des serveurs distants. Mais cela n'a pas que des avantages : voici une petite revue des possibilités et des conseils d'usage.

Stockage local (disque dur)

Pour assurer ses arrières, mieux vaut utiliser au moins deux disques distincts. Les défaillances de ces matériels sont communes : même si leur fiabilité tend à s'améliorer, ils peuvent cesser de fonctionner sans crier gare, et c'est l'arrachage de cheveux assuré. Une erreur logicielle peut aussi corrompre les données, laissant comme seule option le formatage (avant d'en arriver à cette solution extrême, tentez votre chance avec un logiciel de récupération de données, efficace sur un disque comme sur une carte mémoire). Mieux vaut stocker ses disques dans des bâtiments, voire des régions, différents, en mettant à jour aussi souvent que possible la sauvegarde qu'ils contiennent. Les aléas tels que les incendies, les inondations, les surtensions électriques ou encore les tempêtes sont régulièrement la cause de drames numériques. En 2012 à New York, l'ouragan meurtrier Sandy avait aussi ravagé les données de nombreuses entreprises, créant une prise de conscience mondiale de l'importance de multiplier les sauvegardes dans des zones géographiques aussi éloignées que possible les unes des autres.

Stockage distant (cloud)

Pour se prémunir contre la défaillance d'un disque dur, il est aussi possible de stocker des données dans le cloud. Les souvenirs sont alors enregistrés sur un serveur distant, chez un opérateur de services en ligne, souvent un GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple ou Microsoft), moyennant finance lorsque le volume total à stocker dépasse quelques giga-octets. La plupart répliquent les données dans plusieurs centres répartis au moins dans la zone géographique du client, si ce n'est sur la planète. Attention, cette dispersion complique la protection de vos données : il devient possible de leur appliquer plusieurs régimes légaux étrangers, dont souvent celui, très intrusif parmi les démocraties, des États-Unis.

Pire : le cloud a un coût écologique énorme, puisqu'il faut fabriquer les supports de stockage et construire les centres de données, mais aussi les alimenter en énergie 24 heures sur 24. Des centaines de millions de tonnes de CO2 sont ainsi émises chaque année. Plus vous stockez de giga-octets, plus du CO2 s'ajoute à votre empreinte carbone, et pas qu'un peu. Chaque méga-octet compte : il est donc important de faire le tri et de ne transférer dans le cloud que ce qui est essentiel.

Quelle histoire ? Autre problème, à plus long terme : le cloud n'est pas l'ami des archéologues. Du moins, nous n'imaginons pas aujourd'hui comment les historiens du futur pourront retrouver suffisamment de traces numériques, alors que des pans essentiels de notre civilisation disparaissent du monde physique pour être fixés sur des supports vulnérables et périssables. Il est déjà impossible de retrouver la plupart des archives du web des années 90, il y a seulement trois décennies, alors imaginons cette quête dans trois siècles... Dans le domaine du voyage, c'est la même chose. Difficile de s'assurer que l'on transmettra bien ses fichiers, si ce n'est à la postérité, à la famille au moins.

Héritage en péril

Le défi est d'autant plus grand qu'un disque dur d'aujourd'hui, outre le risque de panne, ne sera probablement pas consultable dans 20 ou 30 ans. Le bon vieux port USB, déjà en sursis, aura disparu aussi vite que la disquette ou le CD-ROM. Vos petits-enfants seront bien contents d'avoir dans leur grenier une brique nommée disque dur, mais ils ne sauront qu'en faire... Quelqu'un qui transmettrait aujourd'hui des souvenirs gravés sur CD ou DVD serait bien avisé de fournir aussi le lecteur, voire un ordinateur complet compatible avec ces supports. Assurez-vous par ailleurs que les données que vous voulez transmettre ne soient pas protégées par un mot de passe. Dupliquez-les autant que possible pour que chaque proche dispose d'une copie, car les aléas du partage d'héritage s'appliquent aussi aux fichiers. N'hésitez d'ailleurs pas à détailler dans un testament vos instructions pour vos possessions numériques aussi, en fournissant tous les identifiants, outils et accessoires nécessaires pour y accéder. Enfin, sur certains services en ligne, vous pouvez désigner via les paramètres les personnes qui récupéreront vos comptes de cloud, de messagerie ou encore de réseau social si un malheur vous arrivait.

Pour le retour du stockage physique

Et si l'on revenait aux photos imprimées ou aux CD audiogravés ? Lassés du tout-numérique, de nombreux voyageurs reviennent aux sources, dans la lignée de la renaissance des vinyles pour la musique ou de l'argentique pour la photo. Mais ce n'est pas juste un luxe de hipster : une solution de conservation physique doit être envisagée au moins pour les souvenirs les plus précieux.

L'être humain reste une petite chose perdue au milieu de l'univers : les tempêtes solaires de forte intensité, par exemple, sont capables de ravager les systèmes électroniques sur des continents entiers, comme cela était arrivé en 1989 en Amérique du Nord, avec de gigantesques pannes sur le réseau électrique. C'est donc sûr, des données stockées dans une tablette tactile traverseront beaucoup moins bien les épreuves du temps que des mots gravés sur une tablette en marbre...

Pour une meilleure conservation

Si vous voyagez avec des supports de stockage numériques comme des disques durs, des cartes mémoire ou des clés USB, protégez-les des chocs et des microvibrations rencontrées par exemple dans les avions, les trains ou les voitures. Rien de tel qu'une housse rigide à l'extérieur et molletonnée à l'intérieur. Et comme pour un smartphone, évitez les interférences électromagnétiques, notamment l'électricité statique, ainsi que les températures extrêmes, le sable ou encore l'exposition prolongée au soleil.

Retour