Terre, une invitation au voyage

5 questions à Matthieu Tordeur

Marianne Furlani
5 questions à Matthieu Tordeur

Aux côtés de onze voyageurs Terres d'Aventure, Matthieu a parcouru plus de 130 km à ski à travers les plus beaux environnements de l’archipel du Svalbard. Nous l'avons interrogé sur son expérience, sur le quotidien d'une telle expédition et sur les liens tissés lors de cette aventure inouïe.

D'habitude, lorsque tu pars en expédition, tu pars seul ou avec quelques personnes ; comment as-tu vécu la vie de groupe sur ce voyage ?

En effet, j'ai plus l'habitude de partir en solitaire ou en petits groupes ! Par exemple mon expédition au pôle Sud, c'était une expérience de solitude intense.

Sur ce voyage, on était 11 : 9 participants, dont ma mère, le guide et moi. Le groupe était assez hétérogène en termes de niveau et d'âge, mais tout le monde était super content d'être là, de partager la découverte du Spitzberg.

La tente commune nous a permis de créer du lien de manière très forte et très rapide : après la journée de ski, on se retrouvait tous dedans pour se réchauffer, boire de l'eau chaude, dîner et le matin, au petit-déjeuner. Pendant ces longues heures, tu refais ta journée, tu partages les moments compliqués, tu décompresses, tu te marres.

Au final, le groupe a super bien fonctionné ! Tu vis pendant 12 jours dehors, tu ne te laves pas pendant 12 jours, tu fais tes besoins à quelques mètres les uns des autres, forcément ça resserre les liens ! On ne se connaissait pas et on s'est tous quittés très bons copains.

Comment avez-vous géré le froid ?

On a eu beaucoup de chance sur la météo : il a fait très beau, il n'y a pas eu de chute de neige, il n'y a pas eu trop de vent.

Mais il a fait froid ! Et à -30°C, tout est compliqué : ouvrir un thermos, c'est compliqué, parce que souvent il est gelé ; fermer son zip de doudoune, c'est compliqué, parce que tu as froid aux doigts ; mettre ses chaussures, c'est compliqué, parce qu'elles sont congelées... Prendre sa fourchette, mettre une épaisseur en plus, ouvrir un sachet de lyophilisé : tout prend du temps, parce que tu as les doigts engourdis, tu as des gants, c'est ça psychologiquement le plus difficile. Les -30 dès le premier jour, ça a bousculé tout le monde !

En fait, les expéditions polaires, ce ne sont pas des expéditions techniques à proprement parler : tu n'es pas sur une montagne avec un mur à grimper avec des cordes. Tu es sur tes deux pieds, avec tes deux skis, et tu avances en poussant sur tes bras... Ce qui est compliqué dans le milieu polaire, c'est de vivre dans le froid.

Quand tu es en mouvement, tu n'as pas vraiment froid, même à -25°C. Quand tu tires une pulka, tu dégages beaucoup de chaleur. Tu peux même avoir trop chaud, notamment dans les montées, et là il faut être très vigilant car il faut éviter de transpirer, sinon la transpiration va mouiller tes vêtements et tu vas geler quand tu vas t'arrêter. En plus si tu transpires, tu vas consommer plus d'eau, et l'eau il faut la fabriquer...

Pour éviter de transpirer, il faut avoir des vêtements que tu peux ventiler : ouvrir sous les bras, sur le côté des jambes, pour pouvoir gérer ta chaleur corporelle.

Et pour ne pas avoir trop froid, il n'y a pas de secret : c'est la technique de l'oignon ! Il faut multiplier les épaisseurs de vêtements qui te permettent de rester au chaud. Plutôt que de n'avoir qu'une seule et énorme parka, il vaut mieux avoir plein de couches d'épaisseur et de tailles différentes (il ne faut être trop serré), pour emprisonner de l'air chaud près du corps, et c'est cet air chaud statique qui va te maintenir au chaud. Aujourd'hui il existe plein de vêtements qui répondent à ces besoins : des premières peaux, des polaires, des coupe-vent, des doudounes...

Et dès que tu t'arrêtes, il faut bien penser à se couvrir, à bouger ses bras, ses mains, car ce sont les extrémités qui prennent en premier.

Le ski - pulka, ça s'est bien passé pour tout le monde ?

On n'avait pas tous le même niveau, mais heureusement le groupe était super solidaire ! Il y avait un groupe de 3 copains qui se débrouillaient plutôt bien, ils aidaient beaucoup ceux qui étaient derrière, c'était super. Tout le monde s'attendait, s'encourageait dans la montée...

Quelques participants ont trouvé ça très dur, notamment parce qu'on n'a pas eu de chance sur le terrain : un jour on devait faire un passage sur la banquise, mais comme ce jour-là elle était trop fragile, on a dû faire un détour en passant par les terres. On est montés en haut d'un col à 800m d'altitude, dans une neige assez profonde. Tirer une pulka dans la montée et dans la neige profonde : c'est dur !

Ma mère par exemple, elle avait le sourire mais elle en a bavé ! Elle voulait voir ce que c'était, vivre cette aventure avec moi, mais elle a trouvé ça très dur. Psychologiquement elle est très endurante, elle est normalement sportive, pourtant physiquement c'était dur. Mais c'était génial de partager ça avec ma mère.

Avez-vous vu l'ours ?

Eh bien non ! Chaque soir on devait faire des tours de garde pour se protéger des ours polaires. Le premier soir, deux membres du groupe, Maxime et Alexandre, font leur tour de garde ensemble. Ils voient deux énormes traces de pas dans la neige qui ressemblent à des traces d'ours, ils commencent à s'inquiéter, ils regardent autour de la tente, ils sortent la lampe de poche et au bout de quelques minutes, en passant le faisceau de la lampe au loin... ils aperçoivent 2 yeux lumineux dans la nuit qui les fixent ! Là ils ont bien eu peur, ils se sont précipités dans la tente du guide pour le réveiller et en fait... c'était un renne, comme il y en a tant au Spitzberg !! Ils ont eu une peur bleue, et nous on a bien ri le lendemain !

Y a-t-il un moment qui t'a marqué particulièrement ?

Oui, la veille de notre arrivée à Pyramiden, on avait un ultime col à monter. Il nous restait encore 19 ou 20 km à faire, en grimpant. On montait, on montait, on ne voyait pas l'horizon, on n'en voyait pas le bout !

Et d'un coup, l'horizon s'est aplani, on a enfin vu de l'autre côté : le soleil assez bas sur les montagnes, la banquise, le glacier et tout au bout : Pyramiden... C'était un très beau moment, une combinaison de soulagement et d'émerveillement.

Après on n'avait plus que de la descente vers Pyramiden, et comme la pente était importante, on a pu s'asseoir sur les pulkas et se laisser glisser. On a ensuite découvert cette ville minière russe abandonnée, que je ne connaissais pas du tout. C'était incroyable de rentrer dans cette ville fantôme et de voir les anciennes installations : une piscine olympique, une école, un réfectoire... C'était fabuleux.

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