Terre, une invitation au voyage

Nouvelle-Zélande : vol au-dessus de l'île kiwi

Antoine Girard
Nouvelle-Zélande : vol au-dessus de l'île kiwi

Dans l’île du Sud, traversée par les Alpes néo-zélandaises, se succèdent vallées infranchissables, glaciers vénérables et forêts impénétrables. Un relief sauvage qui se prête particulièrement au vol bivouac en parapente.

Fin 2015, deux pilotes aguerris, Antoine Girard et Benoît Outters, y ont réalisé une première : la traversée sud–nord et retour, en autonomie complète. Antoine raconte.

19 DÉCEMBRE

Lever à 5 h. Nous marchons environ 2 000 m de dénivelé à même la pente pour rejoindre un col du sud de l’île qui devrait nous permettre de décoller. Ici, il n’y a pas de chemin. Le soleil dore le lac de montagne en contrebas. Somptueux. Nous sommes arrivés il ya deux jours, accueillis par des escadrons de sandflies, des mouches minuscules, agressives, dont la piqûre douloureuse démange pendant de longues minutes. Deux jours, et déjà nos sacs de 25 kilos qui ne contiennent pourtant que le strict nécessaire, affaires de rechange et matériel de parapente, nous semblent si lourds. Il faut dire que nous avons jusqu’à présent plus marché que volé et presque pas mangé : 100 g de pâtes la veille, quelques noix et 8 carrés de chocolat, que nous économisons précieusement.

Marche quotidienne pour trouver impérativement et avant le milieu de la matinée le lieu idéal du décollage.

Aujourd’hui, seulement 15 km de vol… Et 7 heures de marche pour ça ! À l’arrivée, une rivière nous bloque le passage, et pas de pont à moins de 40 km ! Il nous faut nous lancer, avec de l’eau gelée jusqu’à la taille. Stressant, quand on sait qu’en Nouvelle-Zélande, la plus grande cause de décès en trek est la traversée des rivières. Une simple chute, et le sac se remplit d’eau, attire vers le creux du lit, et très vite le froid tétanise les muscles. Le courant entraîne le marcheur vers une noyade presque certaine. Nous passons, heureusement. Il nous reste 20 km jusqu’à la prochaine hutte. Mais la montagne en face s’est éboulée et bloque la rivière de fond de vallée.

Parvenus de l’autre côté grâce à un enchevêtrement d’arbres arrachés par la puissance de l’eau, nous effectuons un véritable parcours du combattant dans la forêt, à 1 km/h de moyenne. Sur les dernières heures je vomis plusieurs fois. Trop d’effort et pas assez de nourriture : mon corps est à bout. Benoît trouve la force de manger une demi-ration le soir. Cela promet…

Le lac Mavora représente le dernier lieu de civilisation.

23 DÉCEMBRE

Nous restons presque toute la journée au lit, aujourd’hui, c’est tempête ! Une pause bienvenue dans la hutte, car depuis le début, les nuits à la belle étoile ont été difficiles. Tout est détrempé dans ce climat humide et nous n’avons même pas de matelas ou de bâche. L’endroit le plus sec est le chemin du trek, qui fait juste la taille de nos épaules ! Nous n’avons pas emporté de tente : notre progression est prévue de hutte en hutte, des refuges assez sommaires qui quadrillent le pays tous les 20 km. Elles ont été installées par l’État pour encourager les chasseurs à pénétrer dans les zones sauvages et éradiquer certaines espèces d’animaux invasifs importées par l’homme. Rustiques, certes, mais le poêle permet de sécher nos affaires et de manger. À ce propos, le doute s’installe vraiment sur nos capacités à réaliser la traversée avec un tel niveau de frustration énergétique.

Pour nous conformer à l’éthique du voyage, nous sommes partis avec des rations de survie pour 20 jours, composées de 250 g de nourriture quotidienne par personne. La carte n’est pas très variée : semoule, céréales, pâtes. Parfois, nous avons pu pêcher pour améliorer l’ordinaire, et comme la truite locale fait rarement moins de 2 kilos, elle suffit à assurer un repas !

La faim, le froid, le danger : mener un projet aussi engagé à deux est une aventure en soi. Si j’ai réalisé beaucoup d’expéditions en alpinisme, fait d’importants vols montagne en solo, ce trip en Nouvelle-Zélande est mon premier grand voyage en parapente. C’est aussi un baptême pour Benoît, traileur ne volant que depuis 3 ans, qui m’a impressionné par son niveau. Malgré les galères, le décor compense tout : les prairies jaunes ou vertes des fonds de vallée transpercées par les cours d’eau, ces grandes forêts en pentes raides, les pics couronnés de neige. Notre quotidien en l’air est extraordinaire.

La météo ne permet toujours pas l’envol. Les herbes hautes rendent la marche aussi ardue que dans de la neige profonde.

24 DÉCEMBRE

Retour du grand bleu et remontée peu à peu vers le nord. Direction le glacier de Dart et sa glace bien en place dès 1300 m. Les mouettes et les perroquets nous montrent les ascendances et nous décollons sous des thermiques (colonnes d’air) teigneux. Le bilan du jour est gratifiant : six chaînes et 120 km de vol dans un décor digne du Seigneur des Anneaux. Impossible sans nos ailes de passer ces montagnes, faites de tours et de détours, qui se muent parfois en impasses.

À l’arrivée dans la vallée Dobson, la brise est si forte que je peine à contrôler ma voile et finis pendu à un arbre ! Celle-ci est presque coupée en deux et nous passerons une partie de la nuit à essayer de réparer la voile, avec du ruban adhésif et quelques bandes de ripstop. Cela ne nous empêchera pas de survoler le mont Cook, le plus haut sommet de l’île avec 3 724 m le lendemain matin. Royal, il se détache, couronné de blanc dans le bleu cobalt du ciel. Nous sommes tellement subjugués que nous restons à faire des ronds au-dessus au lieu d’avancer ! Les vallées désertes et les glaciers immaculés s’enchaînent sous nos pieds. Pas une âme qui vive. Magique isolement. Demain, c’est Noël. La chance veut que nous trouvions une vieille bière dans la hutte. Elle est périmée depuis plus de dix ans, mais nous pouvons fêter le réveillon dignement ! 

Les derniers rayons de soleil nous permettent d’avancer encore un peu.

30 DÉCEMBRE

Comme souvent en Nouvelle-Zélande, chaque décollage est une aventure en soi. Aujourd’hui plus que d’habitude. Alors que je suis en train de couper quelques ronces qui nous gênent, je m’entaille le pouce : la plaie est profonde, et il nous faut faire un garrot pour arrêter le sang. Pas le choix : même si je peux piloter avec mon poignet, il faut voler pour trouver au plus vite de quoi se soigner. Après 120 km en l’air, la chance nous sourit : une trousse de premiers soins se trouve dans notre prochaine hutte ! Je n’ai pas trop mal. Le plus terrible, ce sont les fringales. La nourriture nous manque cruellement. Il nous aura quand même fallu attendre une bonne semaine pour croiser la route d’un vrai thermique. Le vent qui nous propulse à 3 000 m nous emporte à 70 km/h vers Nelson, à l’extrémité nord de l’île.

Vol de sept lieux. L'une des nombreuses vallées survolées. Une aubaine puisqu’il est bien plus difficile et éprouvant de marcher que de voler.

2 JANVIER

Repos et orgie de nourriture ! Nous avons perdu beaucoup de poids, 10 kilos pour moi ! Je regarde la météo et il y a potentiellement un créneau pour faire une partie du chemin de retour. Le souci ? Il faut partir demain matin… Pas très raisonnable vu notre état de fatigue. Une pause barbecue avec le club de parapente de Nelson, au bord de l’océan, nous remotive cependant. À 21 h, nous décidons de tenter le retour.

3 JANVIER

Nous avons plutôt bien avancé malgré le puissant vent de face et l’orage laissé derrière nous. Mais ce matin, un petit bout de forêt sur la carte nous inquiète, à juste titre. Ce sera le jour le plus dur physiquement et moralement pour rejoindre le décollage, à 10 km de là. Une rivière nous oblige à faire de l’escalade en traversée au-dessus de l’eau, sous l’assaut des terribles sandflies, puis se succèdent les genêts et les fougères géantes, et les marécages pestilentiels où l’on s’enfonce jusqu’aux genoux. Pour finir, 150 m de forêt impénétrable nous infligent 2 h de reptation. Les prairies suivantes sont couvertes d’une plante un peu grasse dont le bout des tiges nous transperce la peau.

Lac Pukaki : les eaux turquoises du lac Pukaki sont considérées comme une merveille de la nature.

4 JANVIER

Aujourd’hui, nous sommes satellisés jusqu’à 3 600 m, les yeux écarquillés par tant de beauté devant les glaciers et les montagnes autour du mont Cook. Nous nous posons au sud de celui-ci, après 140 km de vol, un record. La hutte visée n’est plus là : emportée par la rivière ! Ce sera bivouac ce soir. Les jours suivants, la météo se montre plus capricieuse que jamais. Nous débutons la marche en short, puis le froid s’invite et malgré la superposition de toutes nos couches de vêtements disponibles, nous marchons 7 h, frigorifiés. Et voilà qu’il nous faut traverser une quinzaine de rivières avec de l’eau jusqu’aux cuisses… Avec l’air glacé, voler nous met au supplice. Mais cette autre vision du relief local nous réchauffe le coeur alors que nous évoluons entre pics et glaciers, au lieu de les survoler. Demain, ce sera Queenstown, la fin de notre traversée.

Retour à la civilisation, avant de la fuir à nouveau, sous d’autres cieux imprévisibles.

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