Terre, une invitation au voyage

Il était un phare

Yann Queffélec
Il était un phare

Qui d’autre qu’un marin pour évoquer les phares, sentinelles des mers et lumières providentielles ? Yann Queffélec, romancier, chroniqueur et navigateur à qui l’on doit notamment le Dictionnaire amoureux de la mer, nous livre sa vision toute personnelle des phares de sa vie.

Pharos, phare – lumière dans la nuit. Marin, on ne peut qu'aimer les phares, les guetter, les supplier d'apparaître. En voici un justement, là-bas, plus chétif qu'une bougie. Il émet des palpitations lumineuses, trois éclats blancs par minute. C'est Armen, l'amer le plus oriental de l'océan Atlantique en venant par l'Ouest, devant l'île de Sein, la pointe aiguë du socle européen. Si tu es Armen, je suis là, ouf ! Merci, l'ami, je sais où aller, ne pas aller.

Les pleurs m'ont brouillé la vue, une nuit, en voyant s'allumer Eckmühl au fond du brouillard après deux jours d'errance à l'aveuglette, retour d'Irlande. Sans Eckmühl, j'allais tâter des Etocs, un amas rocheux bien naufrageur à l'ouest de Penmac'h, en plein courant.

Chaque phare a son clin d'oeil à lui, chacun son nom, sa beauté, sa poésie. Qu'il vous sauve la vie, vous vous le rappelez comme un frère. Éclaireur, guide, enchanteur, ange gardien : tous ces mots ont dit les phares, et des écrivains tels Hugo, Rachilde, Henri Queffélec ou Le Braz leur ont consacré des romans entiers.

Ce sont des milliers de bateaux que les phares sauvent chaque année d'un trépas certain, de par les sept mers. On aime les phares, on a besoin d'eux, mais le progrès sans visage - un peu plus exponentiel chaque jour - est d'un autre avis. À bas les phares, maugrée-t-il en sourdine. Exit ces ringards mélodramatiques. Trop coûteux à l'entretien, trop artisanaux, les vieux cyclopes insomniaques. C'est ainsi que l'Almanach du Marin Breton, le bréviaire du voileux côtier, peut affirmer dans son édition 2018 : « Désormais les phares ne sont plus indispensables à la navigation ». N'a-t-on pas les satellites, aujourd'hui ? Pas plus intelligent qu'un satellite géostationnaire. Il vous dit où vous êtes, la vitesse au fond, sur l'eau, la route à suivre, les waypoint, la sonde, la dérive, etc. Il prédit l'avenir. À quoi bon regarder la mer ? Autant regarder l'écran, se fier au génie du satellite. Il tombe en panne, quelquefois. Pas le satellite proprement dit, non, mais la technologie raffinée qui relie l'ordinateur au saint des saints.

C'est bête, on est perdu. On regarde la mer. On l'avait oubliée, dis donc. C'est grand la mer, la nuit. C'est tout noir, c'est nulle part, c'est partout. On fait quoi, s'il vous plaît ? Sans les phares, la mer n'est pas soeur de la nuit mais du néant. Bruine, brume, nébulosités volages parachèvent la cécité du marin trop confiant dans ses écrans plats. Indispensables, les phares le sont à la sécurité du marin comme au moral du navire arrivant à la côte. Honte à ceux qui laissent faner les phares sur pied, les lumières s'éteindre. Honte à l'humanité qui se débarrasse des sauveteurs au nom du profit.

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